mardi 10 mai 2016

MONTFERMEIL (on prétend que j'ai beaucoup changé)

Quand j’avais sept, dix ou treize ans, Paris se terminait à Montfermeil.
Ça se passait en été, pendant les grandes vacances. Il ne restait plus grand-chose de la guerre de 40-45, celles de Corée et d'Indochine n'allaient pas tarder à s'achever et celle d'Algérie se préparait lentement mais inexorablement

J'habitais chez mon oncle Guy et ma tante Juliette, tout en haut, dans la dernière grande maison bourgeoise de la commune, située en bordure des champs.
C'était une maison  où les enfants ne pouvaient pas parler à table avant le dessert mais où, tous les après-midi, vers quatre heures, chacun d'entre nous...
- Pfff !  Nous étions très nombreux à table ! Et j'étais en adoration devant Françoise et j'essayais toujours de m'asseoir à côté d'elle... ma cousine Françoise aux yeux espiègles, à la voix d'argent et jolie comme du miel qui me considérait à peine parce que, même à treize ans, j'étais encore trop jeune pour elle !
recevait une tasse de chocolat chaud, des tartines au beurre et une pomme verte à croquer
Plus loin, ce n’était pas Paris.
Plus loin, il y avait des terres cultivées, des blés et des pommes de terre, des haies et des enclos, des vergers, des abeilles sauvages, des oiseaux qui insultaient les gamins et leur criaient d'aller jouer ailleurs, des faucheurs et des glaneuses, des pâturages et du bétail, de petits cochons roses gardés par de petits chaperons rouges, des loups et des renards, des orages féroces, des bombardements de glands, de pommes de pin, de chataignes et de marrons, des fermes, des corbeaux, des chapelles et des hameaux… où je ne me serais jamais risqué...
- Zone rouge ?
- Pfff ! Quand je montais à Paris, ce n'était quand même pas pour fréquenter tous les bouseux, curetons, aubergistes, porchers, enfants de choeur, chasseurs d'escargots ou de champignons, poseurs de collets et mangeurs de hérissons et autres culs-terreux de la cambrousse environnante, oh !
sans être accompagné par un de mes grands cousins car on m'avait bien dit que dans la grange d'un relais postier situé à l’entrée du village le plus proche, un voyageur de qualité... 
- Au XIXe siècle ?
- Pfff ! A la fin du XVIIIe !
avait été égorgé et dépouillé par des croquants et que les assassins couraient toujours 

Avant Montfermeil, c’était Le Raincy.
C'était la gare de Le Raincy-Villemomble d’où je prenais parfois un train de banlieue, tôt le matin... jusqu’au métro : les publicités accrocheuses, les rôdeurs et les exhibitionnistes (que je confondais, à l'époque, avec les existentialistes), les mendigots et les accordéonnistes, les tapins et les gigolos des quais-trottoirs, les flics de la RATP, les macs et les agents de police en civil, les mouchards et les pick-pockets, les filatures et les embuscades, la liberté...
Et d’où, au retour de mes expéditions, après avoir DUBO DUBON DUBONNET erré pendant des heures dans les couloirs, évité de me faire coincer dans un wagon de première classe, emprunté tous les tunnels DUBO DUBON DUBONNET des différentes lignes  DUBO DUBON DUBONNET de métro et fait et vu tout ce que je ne devais pas faire et DUBO DUBON DUBONNET voir (sans jamais, pour autant que possible, revenir en arrière ni remonter en surface), je rejoignais Montfermeil à pied, en sifflotant.
Et en shootant sur des pierres qui se trouvaient là par hasard, que je ne connaissais même pas et qui ne m'avaient rien fait. Juste à temps pour le dîner, la vaisselle, le...
- Raconte-nous ta visite au Louvre ! Ça t'a bien plu ?
- Pfff ! Enormément, bien sûr...  mais n'ai pas encore tout vu ! J'y retournerai demain... avec mes tartines, bien sûr ! Et j'y passerai encore toute la journée... avec votre permission, bien sûr !
compte-rendu des activités des uns et des autres, la prière du soir et la bénédiction du chef de famille, le plumard et les moustiques qui m'empêchaient de lire ou de dormir

J'ai cessé d'avoir sept, dix ou treize ans. On prétend que j’ai beaucoup changé. Et Montfermeil aussi.




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